Interview d’Emmanuel Moire avec Frédéric Zeitoun

Team Emmanuel Moire

EMMANUEL MOIRE
LA RENCONTRE
sortie le 28.08.2015
ITW avec FREDERIC ZEITOUN

FZ : Emmanuel bonjour et bienvenue ! La Rencontre, c’est votre quatrième album. Si le précédent album était celui de la sortie du tumulte, de la tempête, on a l’impression que ce quatrième album est celui du bonheur, du bonheur qu’on accueille, du bonheur qu’on a décidé d’accueillir, c’est ça?

EM : Oui c’est ça. Sur le précédent, il y avait les prémices: c’était l’histoire d’un mec qui s’est écroulé et qui a fait le choix de retrouver la lumière. C’était une direction, il fallait y aller. La reconstruction, une renaissance. Celui-ci c’est l’aboutissement de tout ça.

FZ : On sent un souffle de vie, une envie d’être heureux, une envie de le dire, une envie de s’ouvrir à l’autre, une envie de lui dire tu as bien fait de faire ce chemin. On vous sent prêt, enfin, à accueillir à nouveau le bonheur

EM : Exactement, c’est un état d’esprit que je ressens profondément et dans ma manière de travailler, j’ai du mal à créer des histoires qui ne m’appartiennent pas ou de chercher des choses qui n’existent pas.

FZ : C’est donc très autobiographique?

EM : Oui, même s’il est plus ouvert sur les autres.

Quand des choses se sont terminées il y a d’autres choses qui commencent: c’est aussi ça la thématique de cet album. Y’a quelque chose du domaine de la relation avec les gens, c’est un album qui parle de plein de rencontres possibles, à pleins de niveaux. C’est l’importance des uns avec les autres, comment on se comporte les uns avec les autres. Pour moi ça c’est très important.

FZ : L’humain pour toi, on a l’impression que c’est ta colonne vertébrale, c’est ça qui te fait « artiste »

EM : J’attache beaucoup d’importance au talent des gens qui travaillent avec moi mais aussi à la leur manière d’être, de se comporter les uns avec les autres. C’est tout bête mais ça passe par des valeurs comme le respect, le partage, l’écoute. C’est de faire les choses ensemble. Autour de nous il y a un monde avec des gens qui n’ont pas la même logique que nous. A partir du moment où on communique et on essaye de prendre l’autre en considération ça se passe toujours mieux.

FZ : Vous avez conscience que c’est rare d’entendre un artiste dire cela ? Généralement on leur pardonne même d’être dans leur bulle égocentrée. C’est rare d’entendre un artiste dire que l’important c’est l’autre et le vivre ensemble et que c’est dans cet encre là qu’il va mettre sa plume?

EM : J’ai l’impression qu’on s’éloigne de cette description avec le temps. Même le public n’est pas forcément avide de cela ou de starification. J’aime la sincérité, je n’aime pas trop l’artifice, ce ne sont pas mes codes. Par rapport à ce qui se passe avec le public par exemple, c’est plus fort de se montrer tel que l’on est et de considérer les autres. C’est primordial pour moi. Tout simplement parce que dans ma vie, dans mon parcours de vie, si je n’avais pas eu les autres, ma famille, mes amis, l’amour des gens qui m’ont porté vers le haut, je ne serai plus là. J’en suis bien conscient, et je me dois de renvoyer la balle. Et je me sens comme cela, j’ai été élevé comme ça et je suis content que ça soit toujours bien présent chez moi.

FZ : Avant de parler du fond, sur la forme, ce qui m’a très agréablement surpris , c’est la facture extrêmement classique, grande variété dans le sens le plus noble du terme de votre production, je pense que Serge Lama ou Charles Aznavour auraient pu produire un album comme ça.

EM : Je suis un chanteur de chanson française, j’ai été bercé par la chanson française même si j’ai eu d’autres influences par la suite, j’aime ça et je l’accepte et je me dis que si j’ai envie de faire ça j’essaie de la faire bien.

FZ : Y’a pas de concessions.

EM : Non

Y’a pas de concessions et surtout le plus important pour moi c’est que la chanson parle de quelque chose, qu’elle soit au bon endroit, qu’elle me touche, que c’est vraiment comme cela que j’ai envie de m’exprimer sur le sujet, qu’il y ait une adéquation entre la musique et le texte, les arrangements, où tout est au service de qu’est-ce qu’on raconte dans cette chanson. C’est tout ce que je me suis posé comme question, c’est d’être toujours en accord avec le propos de la chanson. J’ai fait très attention à cela pour être toujours connecté au propos.

FZ : Non seulement connecté au propos mais aussi à ce que tu revendiques c’est-à-dire une grande tradition de la chanson française. Y’a pas de concessions à l’urbain par exemple

EM : Y’a plein de choses que j’aime dans l’urbain, j’ai plein d’influences. Après je ne me suis pas posé 36 milliards de questions en faisant cet album : je voulais faire des chansons qui me touchent, qui nous touchent Yann et moi (ndlr : Yann Guillon l’auteur de tous les textes de l’album) au moment de la création. Nous avions déjà travaillé ainsi sur l’album précédent Le Chemin et ça a touché le public donc je me suis dit après tout il n’y a rien à faire d’autre, et sans revendiquer ou prouver quoi que ce soit. En fait je suis humble dans ce travail là : rester connecté dans le travail et faire les chansons comme elles doivent se faire. Et après, on verra…

FZ : S’il y’en a un avec lequel tu es vraiment connecté et cette rencontre en est même troublante, c’est Yann Guillon qui signe tous les textes de l’album. On a vraiment l’impression à l’écoute de cet album que c’est une seule et même personne qui compose et écrit. Qui est-il et comment vous êtes-vous rencontré ?

EM : Notre grande force à Yann et moi c’est qu’on se connait depuis très longtemps. Ça doit faire une quinzaine d’années. Nous nous sommes rencontrés aux rencontres d’Astaffort, un stage d’auteur-compositeur-interprète organisé par l’association Voix du Sud présidée par Francis Cabrel. Le but est de faire des chansons pendant 10 jours avec des ateliers et un concert de clôture. La rencontre était comme une évidence, nous sommes devenus amis très vite. On a commencé à travailler ensemble. Sa façon d’écrire me touchait, sa simplicité, et aussi sa culture très large dans différents domaines comme le cinéma, les romans. C’est quelqu’un qui est toujours connecté au propos, il attache de l’importance à sa mise en scène, que ça ne soit jamais gratuit. C’est très réfléchi dans notre travail. Pour moi les notes de musique viennent se glisser sous des mots, ça doit être en accord et c’est assez intéressant d’être focalisé sur l’harmonie totale entre une musique et un texte et après celui qui va l’interpréter.

Au fur et à mesure des années, ça fait quatre disques que nous faisons ensemble, cette relation évolue et nous gagnons en maturité. Quand on travaille tous les deux, nous ne sommes en effet qu’une seule personne.

FZ : ça vous ennuierait qu’il prête sa plume à d’autres ?

EM : J’aime cette relation avec Yann parce qu’elle est très particulière. Je n’empêche pas du tout Yann de travailler par ailleurs, mais je crois que c’est la même chose chez lui… Il aime ce travail avec moi et n’est pas forcément avide de travailler avec d’autres.

FZ : Il le prendrait mal si tu ouvrais la porte à d’autres auteurs ?

EM : Ce n’est pas évident, on a une relation très exclusive, une relation qui est rare. Même quand je travaille pour d’autres, nous le faisons ensemble. On est un binôme en fait, c’est une vraie chance de l’avoir rencontré. Il est devenu un grand ami et nous partageons beaucoup de moments de vie ensemble, on se nourrit de ça.

Yann a une vision spirituelle de la vie, c’est quelqu’un qui est sans cesse en évolution, sans cesse attiré par le fait d’être mieux, de s’épanouir. Et moi j’aime cette façon de voir la vie. Donc du coup on se tire mutuellement vers le haut et dans notre travail on a toujours envie d’aller plus loin. Et je suis très heureux de cette relation parce que la qualité de mon travail, c’est sans prétention, c’est évidemment la sienne aussi.

FZ : Sans employer de grands mots à tort et à travers, est-ce qu’on peut dire que c’est l’album de la résilience?

EM : Oui je crois. Le précédent c’était des envies d’arriver à cet état, où tu respires à nouveau, avec cette lumière dans les yeux, te sentir vivant, tu sens que ton corps et ta tête ça y’est est passé à autre chose, enfin tu renais d’une autre manière et reprends gout à la vie, vraiment. Tu prends la valeur des choses, tu te réjouis des choses toutes connes parfois, de ressentir que tout ça est revenu et que fonctionne, même si c’est d’une autre manière. Cet album-là est rempli de tout ça, c’est un état, pas un état que je recherche contrairement au Chemin mais c’est un état dans lequel je vis.